Jean-Baptiste Audras : « WordPress 5.9, un cadre applicatif pour le Full Site Editing »
Plusieurs fois annoncée, la version majeure du CMS open source le plus populaire du marché, WordPress (que vous pouvez découvrir à travers nos formations WordPress), est désormais proposée au public depuis le 24 janvier dernier. Un cru 5.9 augurant de nombreuses innovations dont le full site editing, un nouveau thème dédié et bien d’autres améliorations significatives. Retour sur cette édition avec Jean-Baptiste Audras, l’un des deux responsables du projet de cette 5.9, WordPress Core Developer et directeur technique de l’agence Web française Whodunit.
Vous êtes l’un des Core Developper de WordPress et actuellement, l’un des deux responsables projets de la version 5.9 de ce CMS. Comment s’élabore une nouvelle version ?
La conception d’un projet collaboratif open source tel que WordPress est un savant mélange de plusieurs choses :
● Des suggestions issues de la communauté qui doivent remporter une certaine adhésion des utilisateurs du CMS ainsi que celui des développeurs et développeuses Core (ceux qui développent le cœur du CMS). C’est un processus de longue haleine, le plus difficile étant de se mettre d’accord !
● De rapports de bug et/ou d’éléments relatifs à la sécurité. Généralement, les correctifs sont mis en œuvre dans les meilleurs délais et une mise à jour est proposée.
● Autre provenance, celle des Core Committers, une communauté réduite de personnes techniquement responsables du noyau de WordPress. Dans ce cas, les nouvelles fonctionnalités sont discutées conjointement et le travail débute rapidement en mode projet.
Pour ce faire, WordPress dispose de deux outils principaux permettant de faire remonter les propositions issues de la communauté :
● Trac qui est l’outil historique de WordPress ;
● Github pour tout ce qui concerne les évolutions futures de Gutenberg, l’éditeur de WordPress.
Une nouvelle version de WordPress prend l’ensemble de ces informations en compte. À noter que ce sont les deux premiers chiffres du numéro de version de WordPress qui indiquent si c’est une version majeure tels que 5.8 ou 5.9.
L’opus 5.9 ouvre la voie au Full Site Editing (FSE), l’une des étapes du projet Gutenberg. Où en est le déploiement de Gutenberg et ses objectifs finaux ?
Apparu fin 2018 lors de la sortie de la version 5.0 de WordPress, l’éditeur de blocs Gutenberg ne fait pas que remplacer son prédécesseur TinyMCE, il propose de nouvelles fondations qui selon WordPress « vont révolutionner la construction et la personnalisation de sites » réalisée avec ce CMS. Le projet Gutenberg, développé sur GitHub et utilisant l’API Rest WordPress, JavaScript et React, s’établit en quatre phases :
- L’édition simplifiée à travers des blocs agençables déjà disponibles et régulièrement améliorés ;
- La personnalisation avancée avec le Full Site Editing : édition de site, motifs de blocs, répertoire de blocs, thèmes basés sur le FSE… C’est à cette étape que nous sommes actuellement ;
- L’édition collaborative de documents Web qui sortira probablement avec la version 6.2 prévue dans le courant 2023 ;
- La gestion native du multilingue.
Définir un nouveau standard d’édition et de publication de contenu sur le Web, telles sont les ambitions de Gutenberg et de Matt Mullenweg, le co-auteur de WordPress et fondateur d’Automattic et à la tête de WordPress.org, l’organisation qui maintient à jour et assure le développement des futures versions du CMS. Il faut savoir que 43 % des sites utilisant un CMS dans le monde ont opté pour WordPress.
Le Full Site Editing va-t-il mettre un coup d’arrêt à l’essor des constructeurs de pages de type Elementor, Divi & consort ?
L’objectif n’est pas de se substituer à des constructeurs de pages, mais de proposer un standard. Il existe une multitude de moyens pour éditer les contenus :
● Par le biais de l’éditeur classique de WordPress, TinyMCE ;
● Par GutenBerg ;
● Par le biais de page builder tels qu’Elementor, Divi… ;
● En utilisant des extensions multilingues comme Polylang.
Un page builder à l’image d’Elementor propose des fonctionnalités qui vont au-delà de GutenBerg notamment au niveau de la mise en forme. C’est Photoshop pour WordPress dans son navigateur ! Les finalités ne sont pas les mêmes que GutenBerg.
Qu’apporte cette nouvelle version majeure ?
Baptisée « Joséphine », en hommage à la chanteuse de jazz Joséphine Baker, cette version sortie officiellement le 25 janvier 2022, apporte un cadre applicatif pour le Full Site Editing qui va dépendre du thème utilisé. Il nécessite des thèmes compatibles pour profiter de cette expérience comme celui développé pour l’occasion Twenty Twenty-Two. Pour les anciens thèmes, cela ne changera rien, l’édition FSE sera tout simplement indisponible en attendant que les développeurs du thème le rendent compatible. En soit, ce n’est pas vraiment une rupture, il faudra attendre un an à un an et demi pour que les développeurs et développeuses de thèmes montent en compétence avec certainement l’arrivée de premiers thèmes 100 % compatible FSE d’ici la fin du printemps voire cet été.
Jusqu’alors, l’éditeur Gutenberg gère l’ensemble du contenu lié à la page tandis que le thème gère le header, footer, les sidebars et l’affichage des widgets. Avec le FSE, l’idée est d’agréger tout cela avec des blocs d’éditions.
● Un nouveau bloc navigation fait son apparition permettant de créer des menus fluides et responsive.
● Avec le FSE, les styles globaux sont désormais gérés.
Plusieurs améliorations ont été faites comme la possibilité de déclarer qu’une seule feuille de style CSS par bloc, permettant de partager des styles entre différents blocs ou encore au niveau de l’accessibilité et de l’API Rest. En ce sens, l’API Rest prend en charge directement les fichiers .json. Avec la 5.9, le fichier theme.json prend en compte les thèmes enfants ce qui induit la possibilité de construire un thème enfant directement depuis l’interface d’administration du CMS sans passer par une ligne de code ! Les images peuvent désormais être orientées en mode portrait ou paysage y compris celles au format Webp (voir ici la liste des nouveautés de WordPress 5.9).
L’un des composants essentiels de WordPress reste la bibliothèque d’images qui a peu évolué jusqu’à aujourd’hui. Va-t-elle bénéficier d’un lifting d’ici les prochaines versions ?
La bibliothèque d’images repose sur une dette technique historique de WordPress. Développée sur un framework JavaScript qui était performant il y a encore 5-6 ans et beaucoup moins maintenant, elle soulève un problème de taille. Il est difficile de la faire évoluer vu que cet élément clé de WordPress a de multiples incidences tant sur les extensions qui l’utilisent que sur les thèmes. C’est quelque chose qui évolue lentement et nécessite de prendre de nombreuses précautions.
Certains reprochent à WordPress une apparente lourdeur avec de nombreuses requêtes. Qu’en est-il réellement et comment ce CMS peut-il gagner encore en performance ?
Il y a deux éléments de réponse. D’une part, les requêtes liées à des questions de sécurité et de référencement. Avec plus de 43 % de sites dans le monde fonctionnant sous WordPress, cela attise les convoitises. Ces requêtes ne sont pas directement liées à WordPress. Il est possible de les gérer au niveau de l’hébergement ou avec l’aide d’extensions de sécurité (SecuPress, Wordfence, etc.)
Par ailleurs, sur les performances du CMS, il y a un certain nombre de requêtes notamment liées aux appels de la bibliothèque de médias. C’est un sujet majeur pour les prochaines versions, la 6.0 et 6.1. D’ores et déjà, plusieurs optimisations ont été effectuées. WordPress comme les autres CMS de type Drupal, Joomla, suit la tendance. Il y a de plus en plus de lignes de code au fil des améliorations même si nous faisons du refactoring (réécriture optimisée du code), il faut gérer les surcouches du thème, des extensions, regrouper les feuilles de styles CSS... Le back-end s’alourdit un peu tandis que le front-end s’allège et devient plus facile et rapide à afficher. Il faut savoir que l’empreinte carbone d’un site Web, à 99 %, dépend de ce qui est affiché à l’écran. À noter que depuis juin 2019, WordPress dispose de personnes ressources directement au sein des équipes de Google et collabore régulièrement avec Yoast (une extension phare de référencement). Ce qui implique un travail main dans la main, une certaine reconnaissance et l’intégration de nouvelles fonctionnalités en natif comme le Sitemaps ou encore le lazy loading (chargement différé).
Combien de développeurs / traducteurs contribuent à WordPress dans le monde et en France ?
Pour cette version 5.9, 624 personnes issues de plus de 50 pays ont participé à son élaboration dont un tiers n’avait encore jamais contribué. Ce qui a généré 370 tickets sur Trac et plus de 1900 pull requests sur GitHub. Depuis sa création en 2004, entre 6000 et 7000 personnes se sont investies dans le développement du CMS. L’équipe de développement se constitue de Matt Mullenweg à sa tête, accompagné de cinq lead devs qui ont un droit de veto, d’une cinquantaine de Core Committers qui ont pour tâche de valider le code et d’environ 150 personnes qui contribuent régulièrement, le tout avec des équipes de traduction dont le nombre dépend selon les pays/langues.