Intelligence artificielle et graphisme : quelles applications ?
L’intelligence artificielle condense tous les fantasmes et s’immisce de plus en plus dans notre quotidien. Les applications graphiques n’en sont pas exemptes, tant s’en faut. Entre Adobe qui pousse des outils à la base d’algorithmes d’IA et de nouveaux logiciels tels que Sensei ou encore Skylum qui mise sur la retouche photo intelligente avec Luminar, le champ des possibles est infini et ouvre aux artistes de quoi se consacrer au cœur de leur métier, la création.
Remontant à octobre 1950, date à laquelle le crytpotologue et mathématicien britannique Alan Turing explora dans son article Computing Machinery and Intelligence, le concept de machine pensante, l’intelligence artificielle est sur toutes les bouches depuis ces dernières années. Pour preuve, pas un jour ne se passe sans que de multiples articles paraissent sur les moteurs de recherche. L’engouement est certain, l’IA condense à la fois les fantasmes les plus fous et les peurs inhérentes à chaque évolution technologique majeure. Bien loin des ouvrages tantôt apocalyptiques de la Science-fiction, tantôt plus positifs, elle en est aujourd’hui à ses prémices, bien loin de ce qui peut être montré dans les films. Sa définition est changeante d’une époque à l’autre. Auparavant, on considérait la boîte à vitesse automatique comme de l’IA, actuellement, on pourrait la décrire comme « le degré le plus élevé de résolution de tâches complexes que nous sommes capables d’adresser. Une technologie informatique à part entière ou la robotique s’avère un support à ces systèmes », souligne Lucas Nacsa, CEO de Neovision, une entreprise grenobloise spécialisée dans l’IA. Depuis sa naissance, les chercheurs se sont focalisés sur la reconnaissance d’images, entre autres. Un domaine de l’IA qui a vu des percées importantes avec l’émergence du deep learning et ses réseaux de neurones liés à l’apparition de quatre facteurs :
- Les avancées successives en machine learning aboutissant à la création de réseaux de neurones artificiels multicouches ;
- La montée en puissance des algorithmes d’analyse discriminante et apprenant (les GAN notamment : réseau antagoniste génératif) ;
- L’augmentation de la puissance de calculs informatiques et, en particulier, l’apparition des premières cartes graphiques dont NVidia est à l’origine (en particulier la GeForce 7800) ;
- L’émergence de bases de données labellisées ouvertes et libres d’accès comme ImageNet qui offre aux chercheurs la matière nécessaire pour entraîner les systèmes d’IA.
La vision par ordinateur, un domaine de recherche depuis toujours
Si, au départ, les chercheurs ont voulu identifier des objets sur des images, en se focalisant sur la détection des contours, puis des caractères avant de s’intéresser aux points d’intérêts permettant d’identifier des photos similaires malgré quelques menues transformations, les années 2010 marquent un tournant. Les algorithmes de deep learning progressent à grands pas. Le détourage automatique fait son apparition dans les logiciels de retouche d’image. La baguette magique de Photoshop cède le pas sur d’autres outils de détourage automatique, Skylum innove avec Luminar AI par un procédé de remplacement du ciel ultra performant à base d’IA, NVidia dévoile un générateur de rendu de personnes virtuelles photoréalistes (utilisant les réseaux antagonistes génératifs) libres d’accès dénommés https://thispersondoesnotexist.com et mis au point par un ingénieur logiciel, Philip Wang… Les applications se multiplient, les algorithmes ne cessent de se perfectionner et de s’intégrer à notre quotidien, offrant aux créatifs, des outils pour se concentrer uniquement sur leur art, en leur simplifiant la vie.
Dernièrement des chercheurs de Hong-Kong ont élaboré DeepFace Drawing, un outil permettant de reconstituer automatiquement des visages plus vrais que nature à partir d’une esquisse. Le code source est d’ailleurs consultable à cette adresse.
L’intelligence artificielle chez Adobe…
Principal éditeur de logiciels pour les graphistes et vidéastes professionnels, Adobe a progressivement (bien que tardivement) intégré l’intelligence artificielle à ses outils. En 2017, il lance Sensei dans une démonstration bluffante. L’IA allait lire l’esquisse, proposer des images adaptées à celle-ci, les polices correspondantes à la charte graphique et permettre de revenir en arrière grâce à un arbre de décisions. L’an dernier, Sensei commence seulement à gagner en maturité. C’est du côté de Photoshop qu’il faut aller chercher pour trouver des outils basés sur l’intelligence artificielle. En 2020, Photoshop reconnaît enfin les visages et permet même, dans certains cas, de réaliser des détourages ultras rapides. Cette année, le logiciel de création et de retouches d’image gagne en efficacité grâce à l’IA et ses neural filters. Le logiciel peut désormais modifier l’expression d’un visage, de changer l’éclairage global d’une scène, de coloriser une image en noir et blanc, de changer le ciel tout en ayant des détourages automatiques encore plus précis. Adobe rattrape son retard sur une concurrence de plus en plus féroce, en particulier sur la suite Affinity ou encore sur Pixelmator Pro. En peu de temps, InDesign a gagné une fonctionnalité de recadrage automatique, Premiere Pro s’est doté d’une retranscription automatique des sous-titres tandis qu’After Effects bénéficie de la puissance du roto pinceau 2.0 pour faciliter le détourage des objets. Illustrator possède la 2DPlus, une fonctionnalité qui permet de placer des ombres et lumières sur un dessin vectoriel en quelques clics. Adobe s’est même associé avec l’Université de Cornell pour développer un programme de « photo matching ». Ce dernier permet de faire parfaitement coïncider deux images dans le cadre d’un photomontage.
Et partout chez la plupart des acteurs
Quoi de mieux qu’une nouvelle brique technologique pour se différencier de la concurrence ? L’intelligence artificielle à cela qu’elle touche tous les secteurs, de la voiture autonome à la chaîne de production en passant par le médical, l’énergie, l’aérospatial… Bien loin d’être une simple tendance, c’est une révolution qui s’opère à toutes les échelles et dont l’IA participe grandement. Les éditeurs l’ont compris. Skylum s’est largement basé sur les recherches en IA pour développer son logiciel de retouche photo Luminar AI au point qu’il rivalise et dépasse sur certains aspects Lightroom malgré son relatif jeune âge. L’amélioration des scènes et du ciel sont particulièrement criant de vérité ! Ce n’est pas le seul.
Depuis 2018, Autodesk s’est lancé dans le generative design, un concept qui prend en compte d’abord les propriétés et contraintes des matériaux pour construire ensuite un élément prenant en compte les différentes caractéristiques de la matière première. En clair, le designer exprime d’abord les contraintes techniques – matériaux utilisés, forces mises en œuvre, mode de production et poids souhaité – tandis que des algorithmes d’IA génèrent les meilleures formes possibles à partir des données renseignées. Ce procédé a d’ailleurs été testé pour la réalisation d’une cloison de cabine d’A320 en partenariat avec Airbus entièrement conçu sur imprimante 3D ce qui a permis d’en réduire le poids de 45 % ! Ce concept pourrait offrir, à terme, selon Autodesk, de créer des objets uniquement à partir d’une description !
Entre temps, Microsoft avec Sketch2Code se concentre sur le webdesign avec cet outil qui propose de reconnaître les maquettes esquissées à main levée, de l’uploader, de le numériser et de les recréer au format HTML dans une copie particulièrement conforme. Idéal pour créer des templates et les intégrer ensuite à un CMS en vérifiant le code tout de même, le logiciel n’étant pas exempt d’erreurs.
NVidia avec Gaugan frappe fort également. À partir d’un dessin grossier, le logiciel esquisse une photographie magnifique. Le rendu est bluffant. À tester d’urgence même s’il est encore en version bêta.
Clipdrop.co permet de capturer directement des objets via un smartphone et de l’intégrer dans une composition graphique, directement détourée. Malgré son jeune âge, l’application est bluffante, une extension Photoshop étant d’ailleurs disponible.
Les exemples sont légion, les fonctionnalités basées sur l’intelligence artificielle se développant à vitesse grand V. Bien d’autres surprises et petites pépites sont encore à découvrir au fil du temps. De quoi permettre aux créatifs de laisser libre court à leur imaginaire.